C’est une maison de pierre accrochée au flanc de la vallée, et au fond, coule mollement un ruisseau.
Elle eut sa grandeur, autrefois.
Le petit chemin communal est devenu la Grand’Route, et les troupeaux ont cédés leur place aux voitures à essence. Les moutons n’aimeraient certainement pas l’odeur du bitume et des gaz d’échappement.
La façade à perdu son enduit, et comme une écorchée elle dévoile sans pudeur ses pierres de silex.
Les gouttières de zinc percées couronnent une toiture à la dérive, gondolée par le soleil et les nombreux hivers.
Le temps a passé, Gaetan a cinquante ans, et la maison trois fois son âge.
Et cette maison fut la sienne, il y a longtemps. Lorsqu’il était enfant, il a grandi ici.
Comme elle, il a vieilli, comme elle, il garde dans sa chair les souvenirs révolus de son enfance.
Les clés font grincer la serrure rouillée et l’épaule aide les gonds et la porte à s’ouvrir.
Comme un cercueil en putréfaction, humide et pourri, l’intérieur est sombre et assaille le visiteur de relents nauséabonds. Les murs sont massifs, quelques meubles rares, une cuisine recouverte de graisse et de poussière, une cheminée aux parois calcinées, un sol en tommettes grossières…
L’escalier aux lourdes marches en bois invitent à l’ascension et les grincements typiques ajoutent à l’oppression.
A l’étage, des raies de lumière tranchent l’obscurité et servent de décors pour la représentation d’un ballet de particules de poussière qui monte et qui descend et l’homme, lui, monte encore, tout là-haut, dans ce qui fut alors sa chambre.
A mi-chemin, il s’arrête, et il pleure sans savoir pourquoi, juste que l’étau qui serrait sa poitrine est monté dans sa gorge comme un poids redoutable, et son corps est parcouru de spasmes et de sanglots. Il n’ira pas plus loin.
Il s’assit sur une marche et reprend son souffle et pleure, encore. Les larmes salées assèchent ses joues, puis il redescend.
Les murs sont bosselés, ils l’ont toujours été et sa main rugueuse passe sur la paroi froide et mouillée. Rien n’est droit, pas même les angles, ni le plafond.
Mais ce qu’il cherche est à l’extérieur.
La porte fenêtre n’en a plus que le nom, et les volets à double battant font penser à un box d’écurie.
Au fond de cette cour que l’on appelait jardin, se dresse, fatigué, un tilleul odorant. L’ombre de l’arbre a encore belle allure et au pied du tronc, gît un tas informe. Il faut se rapprocher pour discerner les planches et les clous rongés, posés là, au sol.
Les feuilles en forme de cœur dansent joyeusement, elles l’ont reconnu, certainement, l’enfant devenu adulte qui jouait au Robinson dans une cabane en bois.
La cabane est détruite, et il n’est pas surpris, mais il avait gardé l’espoir, fugace et déroutant, que le temps et les hommes après lui auraient entretenu le rêve d’un père et d’un fils.
Un chat noir passe silencieusement et disparaît dans la haie. Gaetan n’a pas peur, il ne craint rien ici. Il attrape une branche puissante et se hisse au creux de l’arbre.
Dans ce cocon de feuilles, l’émotion le rattrape, et les années pleines d’amis, et les rires, et les pleurs et les regrets, et tout se déverse sur l’écorce séculaire du vieillard branchu.
La Grand’Route est silencieuse, les animaux, les insectes et toute la Terre observent la tristesse de l’homme et un temps, le ciel se couvre d’épais cotons noirs qui versent des larmes, eux aussi, et le soleil revient, plus brillant que jamais, comme un message.
Lorsque la porte se referme, Gaetan sait qu’il ne reviendra pas. La maison en vente n’est plus la sienne depuis longtemps.
La Grand’Route juste devant est recouverte de cicatrice et d’outrages où l’on se croise difficilement, et des voitures patientent derrière le camion poubelles qui prend son temps à chaque arrêt, et chacun peste et retrousse les narines, condamnés à subir les effluves de leurs propres déchets.
A l’horizon, un vol d’étourneaux peint une fresque admirable, et Gaetan sourit.
F. Oopanzi