L’affaire du Tonkin

Les derniers frimas d’hiver font place aux pluies nouvellement printanières, et cette fin de mars 1885 va apporter, en plus des averses, une nouvelle aux répercussions catastrophiques pour le gouvernement de Jules Ferry, alors président du conseil des ministres et chef du gouvernement Français. C’est l’affaire du Tonkin.

A dix mille kilomètres de Paris, un crachin fin et pénétrant transforme la terre noire en boue glissante. Crapahutant dans la jungle aux dénivelés infinis, les deux mille cinq cents soldats de la deuxième brigade du corps expéditionnaire du Tonkin n’ont pas le temps d’admirer le paysage grandiose de la région du Nord-Vietnam, c’est la guerre, celle que l’on appelle la guerre Franco-Chinoise.

La progression est difficile dans ce fouillis végétal. Hier, le 24 mars, ces hommes ont été battus par l’armée Chinoise. Aujourd’hui, il faut se replier sur Lang Son, une ville fortifiée où l’on pourra soigner les quelques deux cents blessés et enterrer les morts.

Autorisons-nous un saut dans le temps de quatre jours.

Nous sommes le matin du 28 mars 1885. Au-dessus de la canopée vert-sombre, à l’horizon, plane une brume inquiétante. L’armée Chinoise n’est pas restée attentiste, elle a regroupé ses forces, et ses cinquante mille soldats attaquent les Français. Les combats font rages, quand certains luttent pour la victoire, d’autres se battent pour leur survie, et contre toute attente, les Français sont victorieux et inflige à l’ennemi une cuisante défaite, l’artillerie à parler!

Mais tout ne va pas si bien, il y a encore des morts et des blessés côté Français, dont le Commandant de la Brigade, le général Oscar de Négrier, gravement blessé dans la bataille. Désormais incapable de tenir son rôle, il faut choisir un remplaçant, ce sera le lieutenant-colonel Paul-Gustave Herbinger.

Ce dernier craint un encerclement de la ville par l’armée Chinoise qui, bien que battue, n’est pas détruite. Logiquement, il ordonne un repli général vers le delta du Fleuve Rouge et le gros des troupes Françaises. Les restes de la Brigade Française s’ébranle dans la touffeur de l’après-midi du 28 mars.

En partant, le lieutenant-colonel Herbinger communique le mouvement de ses troupes et la retraite qu’il va effectuer, via un télégramme, au quartier général à Hanoï, commandé par Louis Brière de l’Isle.

Dans la lecture précipitée du télégramme, le général Brière de l’Isle interprète mal les informations et croit à la déroute complète du Corps Expéditionnaire Français. Aussitôt, il cable la nouvelle à Paris.

Reprenant ses esprits, Brière de l’Isle relit le télégramme et comprend alors qu’il ne s’agit que d’une retraite préventive, en bon ordre. Il envoi alors à Paris un deuxième télégramme afin de tempérer le ton alarmiste du premier.

Trop tard, la presse s’est emparée de l’affaire. L’armée Française a été écrasée au Tonkin!

En 1885, l’opinion publique en France est largement hostile aux aventures coloniales. Et malgré les dépêches qui arrivent depuis l’Asie minimisant la retraite militaire, le mal est fait. Jules Ferry est conspué par la classe politique opposante, dont le plus farouche, un certain Georges Clemenceau qui le somme de démissionner. 

Le 30 mars 1885, la Bourse chute, et avec elle, Jules Ferry et son gouvernement.