C’est une histoire d’enfants…
Des dizaines, peut-être des centaines de milliers d’enfants, vont être liés, dans un but commun, bientôt, dans le temps.
Pour le moment, ils ne se connaissent pas. Mais quelque chose déjà les unit, une vibration, légère, qui scintille en eux, que l’on a tous un jour connue, cette obsession pour la découverte.
Dans les âges précoces, c’est un instinct indispensable à la survie, connaître son environnement et ses lois. Mais il y a quelque chose de plus, cette ferveur irrationnelle, aux franges, toujours chancelante, telle une flammèche, qui anime l’esprit. C’est un doux sirop, additionné de frissons, qui anime nos rêves enfantins, et nous pousse à l’avant, dans les derniers retranchements de l’imaginaire.
Les enfants de l’histoire présente, vont vivre une aventure commune, intense, fabuleuse et tragique.
La pointe de flèche…
Cette histoire commence dans la poussière des terres du Texas, un enfant et son père. En balade, l’enfant trouve son premier trésor, une pointe de flèche Indienne.
Cet enfant s’appelle Forrest Fenn. Il a 9 ans en 1939. Et le doux sirop de l’aventure l’enivre déjà et toujours.
Forrest grandit et devient adulte. Engagé, il est pilote dans l’US Air Force pendant la guerre du Vietnam. Abattu au-dessus du Laos, il crapahute dans la jungle épaisse, combat les moustiques et la boue, et réussit à rentrer sain et sauf. Le frisson de l’aventure l’enveloppe d’un agréable parfum. L’enfant en lui s’en délecte, il va être son guide.
Après 20 ans de bons et loyaux services, il quitte l’armée. Passionné d’art Amérindien, il ouvre une galerie d’antiquités, à Santa Fe, et prospère.
Stetson vissé sur la tête, chemise à carreaux, Jean et santiags, Forrest Fenn détonne dans le monde des marchands d’art, et il le vit bien.
La tâche noire
A 58 ans, il a réussi. Il est connu et reconnu de tous dans la profession.
Pourtant, les médecins, pessimistes, lui diagnostiquent un cancer. Il va mourir dans les mois qui suivent. Forrest connait trop bien la maladie, il l’a vue à l’œuvre chez son père, quelques années auparavant. Et l’idée de mourir à petit feu le fait crever déjà plus vite.
Une idée germe alors dans l’esprit exubérant du galériste, comme un dernier baroud, une nique à la Mort. Il écrit sa biographie sous forme de courtes histoires aventureuses, et achète un joli coffre de bois solide.
Le pirate et son trésor
Son projet, il l’expose à son ami, l’écrivain Douglas Preston, qui va d’ailleurs s’en inspirer pour son roman « le Codex ». Forrest Fenn veut mourir en Pirate ! Le doux sirop resplendit dans le moment ultime. Chargé de son coffre remplit d’or, il s’assira au pied d’un arbre majestueux, dans cette forêt qu’il aimait tant parcourir, en compagnie de son père. Et, contemplant un paysage à la beauté grandiose, il s’éteindra, aidé d’un cocktail d’apothicaire et soutenu d’une bonne rasade d’Old Bourbon. L’idée lui plait, malgré les circonstances.
Alors, les indices laissés à disposition dans sa biographie, aideront les amateurs chasseurs de trésors à découvrir le dernier séjour du trépassé. En guise de récompense, le trésor. Sa dépouille décharnée, aux orbites béantes, montera jalousement la garde, tel un Cerbère endormi.
Mais voilà, le projet est contrarié. Sa santé périclite et nécessite une intervention chirurgicale. L’opération se passe plutôt bien, et contre toute attente, Forrest Fenn guérit ! Désormais, son trésor, c’est sa vie.
To be continued…
Quid de son coffre et du trésor ? Il va le remplir, au fil des ans, de pièces d’or, de saphirs de Ceylan, de sculptures en jade de Chine, de pépites d’or d’Alaska.
En 2010, Forrest prend son chapeau, son coffre, et lance Sa chasse au trésor, d’une valeur estimée à 2 millions de dollars !
Répondant au frisson de la Chasse, des milliers de personnes, armées de la biographie Fenn, d’un poème composé par ce dernier en guise d’indices et de bonnes chaussures, fondent comme les sauterelles bibliques, sur diverses régions des Etats-Unis.
Les Nornes tissent et mêlent les fils du Destin, d’enfants devenus adultes, qui s’entrechoquent dans l’exaltation du Mystère.
Triste constat. Pour certain, le doux sirop de l’enfance s’est aigrit, caillé et acide, transformé en fièvre noire. Impossible à contrôler, elle ronge et aveugle. On ne joue plus, dans l’esprit adulte des enfances oubliées.
« Regarde l’éclat, pas la valeur ! »
Forrest n’est pas mort, qu’importe, la Faucheuse se venge, elle va se servir. Quatre personnes perdent la vie, dans cette quête. Tout trésor exige un sacrifice, telle est la Loi. Au grand désespoir de Fenn.
Les autorités conjurent Forrest Fenn de mettre un terme à cette chasse au trésor, trop dangereuse, et trop coûteuse. Mais des soutiens inattendus volent au secours du marchand d’art. La ville de Santa Fe notamment. Car le trésor n’est pas seulement enterré. L’afflux de chercheurs et de chercheuses est bon pour le tourisme.
Et la chasse continue…
En décembre 2019, la Bile Noire tâche et excite l’esprit. Une plainte pour « indices trompeurs » accuse Forrest. L’accusateur lui réclame 1,5 millions de dollars de dommages et intérêts. S’il ne trouve pas le trésor par les indices, il le trouvera par le procès !
Coup de théâtre, un autre chasseur accourt, fin décembre. Il clame haut et fort que le géniteur de la chasse au trésor n’a pas menti, le trésor existe bel et bien, et pour cause, il l’a trouvé. Arrêtez tous de chercher !
Le soi-disant gagnant de la partie, sûr de lui, envoi un dossier rempli de preuves à Fenn, lui demande de stopper la chasse, et de lui donner le montant du trésor, qui, il le jure, sera reversé pour moitié à des œuvres caritatives. Zorro sauve Forrest du déshonneur d’un procès coûteux, et demande à empocher un trésor « découvert »… Gagnant-gagnant ?
Pauvre Forrest Fenn. Il nie la découverte du trésor, il nie avoir menti.
Confessions intimes
En 2016, il avouait, modestement, qu’en lançant cette chasse au trésor, il avait voulu réenchanter la jeunesse, la faire sortir d’une chambre encombrée, à l’odeur douteuse. Lui faire lever les yeux de l’écran. Partager en famille une quête universelle, et faire ressurgir le frisson, le doux sirop de l’imaginaire et de la découverte qui l’avait guidé tout au long de sa vie. Il avouait avoir voulu partager ce sentiment unique où lui et son père, un jour poussiéreux, se promenaient, main dans la main, à la recherche d’une pointe de flèche Indienne…La chasse continue.
Comme l’a dit Forrest (celui du film) : « la vie, c’est comme une boite de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber… ».
Les chasses au trésor aussi !
Restons sûr qu’il y a, malgré cette touffe d’imbéciles voraces, de joyeux hurluberlus, rêveurs d’étoiles, pères et mères et fils et filles, Enchanteurs du quotidien, qui caressent et entretiennent ce joli frisson d’aventure, et qui restent émerveillés, à l’idée de participer à une chasse au trésor ! L’auteur de cet article est de ceux-là.
Pour les aventuriers qui ont gardés une âme d’enfant et souhaitent tenter leur chance (et pour les autres aussi, en fait) :
Poème de Forrest Fenn :
« Comme je suis allé seul là-dedans
Et avec mes trésors audacieux,
Je peux garder mon secret d’où,
Et sous-entendre des richesses neuves ou vieilles.
Commencer où les eaux chaudes s’arrêtent,
Et l’emporter dans le canyon en bas,
Pas loin, mais trop loin pour marcher.
Le mettre sous la maison de Brown.
De là ce n’est pas un endroit pour les débonnaires,
La fin approche sans cesse à grands pas ;
Il n’y aura pas de pagaie pour remonter ton torrent,
Seulement de lourdes charges et de hautes eaux.
Si tu as été judicieux et tu as trouvé la flambée,
Regarde vite en bas, pour finir ta quête,
Mais ne t’attarde pas en regards enchantés,
Prends juste le coffre et va en paix.
Alors pourquoi donc dois-je m’en aller
Et laisser mon trésor pour que d’autres le cherchent ?
Les réponses je les connais déjà,
Je l’ai fait fatigué, à présent je suis faible.
Alors entendez-moi tous et écoutez bien,
Votre effort vaudra bien le froid.
Si vous êtes brave et dans le bois
Je vous donne le titre de l’or. »
Si vous trouvez le trésor, l’auteur de cet article vous laisse l’adresse suivante pour le partage : contresirops@gmail.com